Prendre l'objet à bras le corps

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Auteur 1 - Nom, prénom(s) et attache(s) institutionnelle(s) Nicoletta Diasio Université de Strasbourg UMR 7367 Dynamiques européennes
Auteur 1 - Email nicoletta.diasio@misha.fr
Résumé Prendre l’objet à bras le corps
L’intérêt pour la culture matérielle n’est pas récent, il constitue un des fils rouges de l’histoire des sciences sociales : expression des « traits spirituels d’une civilisation » (Pitt-Rivers 1875), accès concret aux logiques de classement et aux catégories culturelles d’une société (Douglas 1979), support pour l’analyse des pratiques et des chaînes opératoires (Cresswell 1996), matière qui fait les sujets à travers des engagements corporels et des conduites sensori-motrices (Warnier 1999). L’objectif de cette contribution est de prendre au sérieux la place des objets dans le terrain ethnographique avec des enfants et des jeunes, de faire un bilan sur la manière dont les objets « font » l’enfance et les enfants et d’analyser comment ils offrent des prises à l’anthropologue ou au sociologue pour avoir accès à des terrains sensibles, notamment lorsqu’il s’agit d’étudier l’expérience d’un corps en transformation ou malade.
Nous nous baserons sur deux recherches. La première, financée par l’Agence Nationale de la Recherche et menée entre 2010 et 2014, a porté sur les changements corporels et les passages d’âge entre 9 et 13 ans en France et en Italie . La deuxième est une recherche en cours, financée par l’IUF, sur « Grandir avec une maladie chronique ou une anomalie chromosomique : vers une anthropologie de l’incertitude » auprès d’enfants et adolescents atteints de diabète de type 1 et de syndrome de Turner. Dans les deux recherches, les objets ont eu une fonction de médiation permettant d’aborder des questions difficiles à partager, d’autant plus lorsque la relation, comme celle avec la chercheure, est marquée par une différence d’âge, de genre et de position statutaire. Nous analyserons donc des dispositifs d’enquête mis en place sur les deux terrains (ex. la visite guidée des lieux de vie et des objets meublant l’espace quotidien, la manipulation des dispositifs de soin ou des produits de toilette, mise en image par les enfants des objets qui sont importants pour eux…) afin de rendre les enfants protagonistes de la recherche et de confirmer l’ethnographe dans la place de celle ou celui qui vient chercher un savoir auprès d’eux.
Cette dimension méthodologique n’est toutefois pas séparable d’une posture épistémologique, à savoir l’idée que sujets et objets se constituent réciproquement par un dialogue intense de dimensions symboliques et matérielles (Diasio 2004, Brougère 2012, Garnier 2012). Nous montrerons ainsi que « prendre l’objet à bras le corps » signifie faire dialoguer des orientations diverses au sein de l’anthropologie de la culture matérielle (Diasio 2009), depuis une approche plus centrée sur la sémiologie des objets et la manière dont ils signifient des classements culturels, des stratifications et des hiérarchies sociales (Douglas et Isherwood 1979), à une autre focalisée sur l’incorporation, sur la matérialité et les appropriations (Julien et Rosselin 2009), à la dimension de la longue durée et des processus d’alternance entre familiarisation et marchandisation (Kopytoff 1986). Prendre au sérieux les objets signifie s’arrêter sur les actions qu’ils permettent, sur les compétences qu’ils mobilisent, sur la sensorialité qu’ils suscitent. Il s’agit sur le terrain de prêter attention autant aux qualités formelles des objets, qu’aux aux engagements corporels qu’ils suscitent et aux prises qu’ils fournissent à l’action des enfants. De ce fait, le passage par la culture matérielle et ses usages permet de dénaturaliser l’enfance et l’adolescence et d’affranchir les plus jeunes d’un ensemble de stéréotypes et d’assignations adultes sur leur vie sociale (Langer 2005).

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