Pourquoi les enfants parlent à l’ethnologue ? Les ressources méthodologiques de l’engagement

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Auteur 1 - Nom, prénom(s) et attache(s) institutionnelle(s) MORANO Alison - Institut des Mondes Africains - Aix Marseille Université
Auteur 1 - Email alison.morano@hotmail.fr
Résumé S’il existe une pluralité de pratiques ethnographiques, l’enquête auprès d’enfants et d’adolescents, considérés en tant qu’acteurs sociaux, induit un protocole méthodologique singulier, sans cesse en mouvement. Ma recherche en doctorat, menée en parallèle avec un emploi d’enseignante contractuelle dans un collège de Mamoudzou, porte sur l’enfance en danger à Mayotte et les catégories parfois poreuses de ces jeunesses plurielles et précaires : mineurs isolés/non-scolarisés/demandeurs d’asile/errants. Dans l’esprit des Childhood studies, cette recherche s’inscrit dans le courant anthropologique centré sur l’agenceïté et, particulièrement ici, dans une réflexion sur le statut de la parole de l’enfant.
Mayotte est sans nul doute un « terrain sensible » (Bouillon, Fresia, Tallio, 2005) fait d’incertitudes et de réajustements face à des enfants violentés qui se livrent peu. Mener une enquête ethnographique à Mayotte auprès de populations juvéniles précarisées et en souffrance, dans un contexte de tensions socioculturelles, politiques et sécuritaires, contraint et conduit à élaborer une méthodologie spécifique, en constant ajustement. Ainsi, les « ratés » du terrain m’ont conduite à une révision méthodologique et réflexive sur les enquêtes dites impossibles. En effet, les difficultés d’accès à la parole des enfants, notamment les « enfants de la rue » et les enfants de la violence, firent l’objet d’une réorientation (Champy, 2016 ; Ceriana Mayneri, 2013, 2015). À cet égard, l’implication dans le travail associatif et les stages en institution constituent une entrée privilégiée. Elle permet d’épouser les formes du « dialogue ordinaire » (Althabe, 1990) en décalage avec la posture, à distance, endossée par les figures d’autorité en présence (éducateurs, etc.).
Ethnographier des enfants en souffrance, aux parcours souvent traumatiques, et dans un contexte sécuritaire tendu, est rendu possible par ces immersions où la figure de l’anthropologue est délaissée, prix de l’accès à la parole des enfants. Dans un contexte de violence administrative néocoloniale où les mzungu (les Blancs) suscitent parfois la méfiance, nous proposons d’analyser ici, à la manière d’Andras Zempléni, les raisons pour lesquelles l’enfant parle à l’ethnologue. Si l’ethnographie conduit au franchissement d’une frontière culturelle (Laurent, 2009), ici l’expérience ethnographique devient indissociable d’un engagement sur le terrain. En effet, bien que la médiation d’un intermédiaire soit de mise, l’apprentissage et la pratique de la langue locale (shimaoré) ainsi que l’installation sur place facilitent la mise en confiance des enfants. La pratique de l’entretien se reconfigure autour de nouveaux savoir-faire, tels que l’adaptation du registre de langage. Au regard de cette expérience riche de plusieurs années d’enquêtes à Mayotte, depuis 2015, nous analyserons les dimensions sensibles et les contraintes techniques d’une recherche qui repose en partie sur la parole et les modes d’expressions infantiles de la souffrance.

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