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La sociologie de l’environnement à l’épreuve de la critique et de l’urgence Journées d’étude du Réseau thématique Sociologie de l’environnement et des risques de l’Association Française de Sociologie Lyon, MSH, 2 et 3 octobre 2024 La recherche en sociologie de l’environnement est désormais reconnue dans le monde académique après son établissement par des manuels, la multiplication des formations spécialisées dans les universités françaises, ou encore des lignes de crédits auprès des agences de financement de la recherche. La situation est bien différente de celle des années 1970-80 où cette sociologie n’était pas assurée dans ses objets, dans ses approches, ni dans ses méthodes comme elle l’est actuellement, et où certains et certaines ont œuvré pour l’instituer dans une discipline pour laquelle elle ne faisait pas sens. Depuis vingt ans, le Réseau Thématique sociologie de l’environnement et des risques de l’Association Française de Sociologie est le vibrant témoignage de ce positionnement dans le paysage des Sciences humaines et sociales françaises, anticipé en cela par l’action de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF). Au-delà d’une certaine légitimité éprouvée pour travailler dans ce champ, marquée par la vitalité de ce réseau ou l’inscription récente de la sociologie de l’environnement au concours de l’agrégation de sciences économiques et sociales, se pose la question de la continuité du domaine et l’importance de synthétiser une certaine histoire, avec ses précurseurs et sa nouvelle génération. Le champ de la sociologie de l’environnement est dynamique avec de nombreux jeunes chercheur.es et des ténors de la discipline encore actifs pour assurer la transmission. Il existe un enjeu intergénérationnel dans les orientations des travaux menés désormais et le fait de revisiter d’anciens objets à nouveau frais (on pense à la question du militantisme) sans minorer les acquis des recherches plus anciennes sur ces sujets. De grands paradigmes liés à la spécialisation de la sociologie comme discipline par rapport aux sciences exactes, ou à la psychologie ou à la géographie, ont dû être remis en cause pour faire de l’environnement un objet sociologique. En faisant rentrer le monde physique et biologique dans les agents explicatifs, on remettait en cause l’adage durkheimien qu’il faut expliquer le social par le social qui aurait conduit à considérer l’environnement exclusivement comme un construit social. Cette ouverture sur les sciences physiques, biologiques et de l’ingénieur a amené paradoxalement à un effet de relativisation de leurs résultats, par leur contextualisation sociétale. Avec le développement actuel des médias sociaux, de la sphère des lobbys, de l’orientation de plus en plus pressante de la recherche par les financements d’Etat et du secteur privé, cela a pu nourrir un scepticisme généralisé quant à la réalité objective des menaces et des altérations écologiques, scepticisme auquel la discipline sociologique est à la fois associée pour ses vertus réflexives mais à contre-emploi tant l’environnement est d’abord considéré par la sociologie qui l’enquête comme une réalité tangible. En effet on assiste à l’émergence d’un brouillage des repères entre connaissance et ignorance, concomitant à un affadissement de la charge objective des résultats d’enquête en sociologie et qui engage la sociologie de l’environnement dans le maelstrom des accusations croisées de fake news, de théories sur la nature mal ficelées, de dépréciation de la vérité scientifique etc. Pourtant, la sociologie de l’environnement est plus que nécessaire dans une actualité de l’évolution des sociétés mondialisées, à l’heure de l’anthropocène, qui implique d’avoir une approche interdisciplinaire et multiscalaire. Nous sommes en effet rentrés dans un temps où menacent des catastrophes, comme le réchauffement de la planète, l’érosion de la biodiversité, la généralisation des pollutions dans un monde toxique, et la sociologie n’est pas exempte de cette « urgence » à prendre part dans les débats de société, ce qui pose le problème du temps de la recherche en sciences sociales qui est toujours plus long que ne l’exigeraient des réponses à l’actualité du moment. Fort de ses richesses de 40 ans de constitution et d’affermissement de ses paradigmes, et des titres dont la sociologie de l’environnement dispose à participer de manière critique mais aussi engagée dans l’évolution sociale actuelle, le RT38 de l’AFS organise deux journées d’études les 2 et 3 octobre 2024 à Lyon pour brosser un tableau dynamique de ce jeune et ancien champ de recherche, et ses promesses pour la connaissance et l’action des rapports de la société à son environnement. 1) Les pionniers français du champ de l’environnement Une discipline se caractérise par des revues, des postes, des manuels, des normes implicites qui forment une communauté épistémique. Tous ces éléments ont été mis en place, pour la sociologie française de l’environnement, dans les années 1980-2000. Sans chercher à être exhaustif, ni à traiter de toutes les influences qui animent la communauté actuelle de la sociologie de l’environnement, il s’agit de revenir sur cette instauration. Relatés dans des ouvrages, un sillon de la sociologie de l’environnement trouve sa source dans la sociologie rurale, qui était aussi une terre de mission pour la discipline sociologique avec l’apport des anthropologues suite à la décolonisation des années 1960 et au retour en métropole. Le rural était à bien des égards, le milieu où on pouvait encore étudier « l’autre » des sociétés modernes. La sociologie de l’environnement a été marquée par l’espace tiers que pouvait représenter la nature ni tout à fait campagne ni totalement urbanisée. Ce filon de la sociologie de l’environnement a été marqué par des centres de recherche associant géographie à sociologie et aussi par le rôle des sociologues de l’INRA. Il est contemporain des premières analyses réflexives sur les institutions de la protection de la nature. Un second sillon de la sociologie de l’environnement vient de l’étude des risques et des crises relatives à l’environnement bâti et technique. Des chercheur.euses issus des sciences de l’ingénieur ont bifurqué dans les années 1970-80 pour trouver dans la sociologie, la part de l’humain et de la réflexivité qu’il ou elles ne trouvaient pas dans l’approche de résolution des problèmes techniques et directement opérationnels de leur formation initiale. Les études des pollutions en tous genre -de l’eau, des installations classées ou de l’air…-, ainsi que celle des catastrophes technologiques ont été travaillées plus particulièrement. Cette conformation particulière de la sociologie de l’environnement française à l’origine de son installation, fait qu’il n’y a pas une école de pensée unique couvrant tout son domaine, tel qu’il avait pourtant été institué dans les politiques publiques à travers le couple « nature et environnement » présent dès le nom du premier ministère sur le sujet établi en 1971 (Ministères délégué auprès du Premier Ministre de la Protection de la Nature et de l’Environnement). Les études de sociologie de l’environnement ont eu une propension à traiter de problèmes appliqués, à l’image de la revue Natures Sciences Sociétés, et sans créer de paradigme à part. La table ronde organisée dans ce premier temps des journées d’étude regroupera des tenants de ces différents domaines et les fera dialoguer sur ce qui a constitué pour elles et eux les moments clés de l’institutionnalisation de la sociologie de l’environnement, de la discussion des grands paradigmes, et des formes d’irréversibilisation, s’il y en a, qui installe durablement ce courant dans le champ plus large de la sociologie. 2) Les enjeux académiques actuels Le deuxième temps des journées inter-congrès s’appuiera sur des communications individuelles, qui auront pour objectif de questionner les pratiques de ceux et celles qui contribuent aujourd’hui à la sociologie de l’environnement. Les communications attendues devront obligatoirement s’articuler autour d’enquêtes empiriques, depuis la définition des terrains jusqu’à l’analyse des matériaux et le travail de restitution. Il s’agira –dans une perspective réflexive– de questionner la manière dont l’inscription dans la sociologie de l’environnement structure les pratiques d’enquête et de production scientifique. Deux dimensions pourront être particulièrement explorées, qui questionnent les frontières –forcément mouvantes– de ce domaine de recherche. La première porte sur les usages de la notion d’environnement au sein de la discipline sociologique (i). La seconde porte sur les rapports avec d’autres disciplines et les mondes de l’expertise (ii). La première dimension ouvre des questionnements sur l’usage de la notion d’environnement en sociologie et sur les interactions avec les thématiques climatiques et énergétiques dans les pratiques de recherche contemporaines. Dans cette perspective, les communications pourront présenter un regard réflexif sur l’usage de l’environnement comme catégorie analytique pour les sciences sociales. S’agit-il de suivre les discours des acteurs et actrices ? De mobiliser la notion d’environnement à partir des connaissances produites dans d’autres disciplines académiques ? Nous souhaitons également nous interroger sur l’ouverture de la sociologie de l’environnement aux débats climatiques ou énergétiques. Est-ce que les références désormais classiques en sociologie de l’environnement peuvent nourrir les réflexions et les travaux portant spécifiquement sur ces enjeux ? À l’inverse, à quel point est-ce que la reconnaissance des enjeux climatiques a transformé la manière dont sont questionnés les enjeux environnementaux ? L’émergence de la question climatique a-t-elle transformé les pratiques d’enquête et les objets considérés par les chercheurs en sociologie de l’environnement ? Une deuxième dimension porte sur la pratique de l’interdisciplinarité et les relations entre production scientifique et expertise, enjeux centraux dans la problématisation sociologique des questions environnementales. Les enjeux environnementaux mêlent des connaissances très disparates, issues d’un très grand nombre de disciplines : biologie, écologie, écotoxicologie, ethnobotanique, etc. Comment est-ce que les chercheuses et chercheurs en sociologie se positionnent dans ces rapports disciplinaires ? Comment mobilisent-ils dans leurs enquêtes et analyses ces connaissances diverses ? Par prolongement, dans un contexte généralisé de prise en compte des problèmes environnementaux au niveau institutionnel, nous souhaitons interroger le renouvellement des rapports entre pratique scientifique et expertise. Comment est-ce que les chercheuses et chercheurs s’inscrivent dans ce processus d’institutionnalisation – ce qui se traduit par une ouverture croissante de postes dans les académies mais aussi dans les instituts techniques et de recherche et développement - des enjeux environnementaux et climatiques ? Comment l’expertise intervient-elle dans les choix de sélection et de délimitation d’objets et de questions de recherche ? Transforme-t-elle les relations avec les acteurs et les rapports aux terrains ? Les communications attendues seront donc caractérisées par une forte dimension réflexive. Elles auront pour objectif d’initier une réflexion collective sur la manière dont la sociologie de l’environnement structure (ou non) nos pratiques de recherche et interagit avec d’autres champs et questionnements. 3) Les hybridations et nouveaux objets On assiste actuellement à une évolution sociale dans laquelle la sociologie de l’environnement tient un rôle important. L’environnement n’est plus seulement qu’une cause de mobilisations sociales, ou un objet de politique publique comme un autre, mais cet objet renouvelle de l’intérieur les approches spécialisées traditionnelles de la sociologie : sociologie des inégalités sociales, question de genre, consumérisme…. On peut souligner, à l’instar de Dobson qu’il y a une environnementalisation ou une écologisation d’un certain nombre de problématiques sociales. Ainsi, à la manière de la convergence des luttes (fin du monde et fin de mois), on assiste à une hybridation des problématiques classiques de sociologie et de leur réinvestissement par la sociologie de l’environnement. Sans prétendre à l’exhaustivité, il nous semble que trois thématiques reflètent bien ces évolutions. La première renvoie à l’analyse de la transformation des formes et des registres de mobilisations. A cet égard, le concept de justice environnementale (JE), né à l’intersection des milieux militants et académiques (Bullard, Taylor, Martinez Alier), a renouvelé les grilles d’analyse. S’il met l’accent sur des revendications classiques (distribution, participation, reconnaissance), le concept de JE insiste fortement sur les identités, notamment raciales, en jeu dans les luttes, et définit l’environnement comme milieu de vie des populations spoliées. Plus récemment, l’irruption des cadrages en termes de justice climatique est venue témoigner de l’importance des revendications venues du Sud dans les négociations internationales et dans les luttes. La seconde renvoie à la prise en compte de l’environnement dans le cadre d’approches classiques. C’est notamment très visible avec la montée, au sein des approches en termes de genre, de perspectives écoféministes, dont la caractéristique est d’établir des liens (historiques, empiriques, etc.) entre les dominations exercées sur les femmes et celles exercées sur l’environnement. Notons d’ailleurs l’importance de ces approches dans les luttes mettant l’accent sur la réappropriation des milieux de vie et de manière plus générale sur la réappropriation par les femmes de leur capacité d’action (en termes de reclaim). En France, les travaux de Pruvost ou Berlan témoignent de l’importance de cette perspective, qui remet au goût du jour un certain féminisme matérialiste, autour de la question de la subsistance. Enfin, il est notable que les travaux renouant avec la critique de la consommation de masse se multiplient aujourd’hui. Si l’écologie politique des années 1970 avait contribué à dénoncer les dégâts sociaux et écologiques de la consommation de masse, beaucoup de travaux ont tendu par la suite à étudier la consommation engagée en termes de niches destinées aux classes moyennes/supérieures et/ou en recherche de distinction. Or, on assiste aujourd’hui à un changement d’échelle de cette critique des effets néfastes de la mondialisation associée à cette consommation de masse. La diffusion de nouveaux indicateurs écologiques (bilan carbone, empreinte écologique, déforestation importée), la stigmatisation des comportements anti-écologistes des classes dominantes (Morena, Salle), ou le développement d’analyses en termes de sobriété (par exemple la décroissance ou le biorégionalisme) alimentent ces réflexions. Des communications venant illustrer ces hybridations et d’autres encore sont bienvenues. Elles insisteront sur la façon dont les dimensions écologiques et leur matérialité ont contribué à la formulation/problématisation des recherches présentées. Les propositions de communication, de deux pages maximum, sont à envoyer à Florian Charvolin (florian.charvolin@gmail.com) avant le 15 juin. Comité Scientifique : Bruno Villalba, Professeur AgroParisTech Catherine Mougenot, cheffe de travaux, Université de Liège Lionel Charles, directeur d’études, association Fractal Florence Pinton Professeure émérite AgroParisTech Florian Charvolin, Directeur de recherche CNRS, CMW Sophie Némoz, Maîtresse de conférences, Université de Franche-Comté Comité d’organisation : Christophe Baticle, Maître de conférences, Aix-Marseille Université Philippe Boudes, Maître de conférences, Institut Agro, Rennes Paul Cary, Maître de conférences, Université de Lille Sophie Némoz, Maître de conférences, Université de Franche-Comté Florence Rudolf, Professeur des universités, INSA Strasbourg Martina Tuscano, Post-doctorante, Université Grenoble-Alpes
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